J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 24 février 2018

Corderie

Nous autres dans la corderie, qui progressons lentement en équilibre instable et n'avons pas encore chuté, nous sommes entourés de tas d'ancêtres invisibles aux yeux des non voyants, des ancêtres dont nous avons peut-être oublié les langues mais pas le langage. Portés par eux, habités par leur histoire, la violence de leur existence, leur trajectoire et leur ellipse, parfois nous nous sentons vieux d'eux et si nous parlons d'eux c'est bien parce qu'ils parlent en nous. Mais à chaque noeud évité, enjambé, nous nous appliquons à les dénouer, à les couper, à résoudre ce qui peut l'être.
Quand l'un de nous est arrêté dans sa course, il descend et se couche sur la pierre froide. Cette nouvelle position lui permet de mieux percevoir  ce qui entre et sort de la corderie: les tensions et les marées, les vibrations, la musique des corps et la marche des nuages, les voix chahutées aussi, à bout de souffle parfois ou proches du canal.

Nous autres dans la corderie avons nos ciels d'octobre, nos orages d'été, nos reliques d'histoires et nos sanctuaires sont ouverts . Tantôt nous sommes rouges ou tout auréolés du gris de la pierre du sculpteur. Nous avons aussi nos raisons et nos déraisons. Animés par des lendemains qui voudraient chanter, dans les nuits courtes, là où se prennent les décisions, nous nous prenons pour des herbes de résistance qui trouveraient leur force dans la fragilité. Si certains prétendent détenir la recette, la plupart d'entre nous ne cherchons pas à la connaître.

Nous autres, qui n'aimons pas la parole en cage  et qui avons peur des grilles, nous préférons les figures libres aux imposées.

Christophe Grossi "Corderie" ( L'atelier contemporain 2018)

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