Assise
sur la margelle d’un puits, dans le jardin de cette maison qui
pourrait être la sienne, elle découvre et regarde avec étonnement
ce qui s’élève là devant ses yeux : dans le brouillard
dense calfeutrant la vallée, quelque chose brille par intermittence,
prend de l’ampleur, s’épanouit vers un infini qu’on sait bien
ne pas pouvoir atteindre, mais tend vers, malgré tout, ce ciel
inaccessible. On dirait un voilier voguant sur un tapis d’herbe
drue, arborant fièrement une sorte de légèreté en dépit de sa
pesanteur métallique, de ses grosses roues récupérées sur
d’anciens chars qui se sont usées sur les chemins caillouteux du
village, de ses mâts de fer brillant de mille petits bouts de verre
, les revêtant d’un habit de scène. Presque au centre de ce
vaisseau se hausse ce qui
pourrait se nommer échelle, à la verticalité troublante puisque ne
semblant pas avoir d’extrémité dans ce brouillard où
s’infiltrent quelques lueurs rendant encore plus énigmatique ce
qui se hisse ainsi à l’assaut d’une croissance arborescente ,
mais qui prend le nom de scala céleste dans
la bouche de son créateur : à fixer la scala
avec le regard qu’ont les enfants, on se trouve
pris de cette
sorte d’ ahurissement qui brouille les idées, ôte toute pensée
cohérente, et laisse enfin l’esprit se perdre dans un monde
foisonnant de légendes ou récits qui le font
s’embarquer
dans des sphères où l’on ne peut progresser que dans un état
second, proche de la stupeur. Quiconque
découvre , au hasard d’une promenade, cette étrange sculpture, ne
peut que s’arrêter, prendre le temps de la contemplation, et
laisser voguer ses pensées
dans un au-delà de l’ici et maintenant. Cette
scala céleste
n’a d’autre raison d’être
que de conduire au songe éveillé, passant
outre les barrières terrestres, liberté
étant laissée à chacun d’
emprunter la verticalité de ses barreaux, non en chair et en os
mais par l’esprit, et ainsi rejoindre ses rêves les plus fous,
accompagné et protégé
par les petites gouttes de verre qui
tintent en
se balançant
sur les filins tendus pour maintenir la rectitude et
la stabilité de l’ouvrage.
A l’avant ou
à l’arrière, on ne sait pas trop,
de la sculpture géante, un siège métallique, comme il s’en
trouvait autrefois sur les
machines agricoles de type faucheuse , incitant à venir conduire
cette
machine de l’imaginaire.
Cette scala céleste,
lorsqu’on accepte
le pacte qu’elle propose,
à savoir de
se débarrasser de la gangue des
pensées vert de gris, d’une
rationalité de rouille et de plomb
qui nous encombrent au jour le jour, fait
grimper
, barreau après barreau, à
la mesure de son imaginaire,
vers ce visage d’un monde
presque oublié,
un
ailleurs , celui de l’enfance
retrouvée.
(Texte faisant partie du recueil "On ne pense pas assez aux escaliers" fruit d'un atelier d'écriture en ligne animé par François Bon et paru récemment chez Tiers livre éditeur)
La photo est de Jean-Claude Borowiak créateur de la scala céleste qui a inspiré ce texte.
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