J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 20 janvier 2017

Du lieu, 1


 Voici ma participation à l'atelier d'hiver de François Bon, exercice 1. Lire les explications  sur son site Tiers Livre.

quel que soit l’itinéraire emprunté dans la ville, cela finit toujours ici ; si j’arrive par le tram remontant  la grand’rue, ce n’est pas loin de l’arrêt « hôtel de ville » ; il suffit de prendre la première rue à droite sur une centaine de mètres ; mais jamais je ne viens ici en premier, je laisse monter l’envie ; une fois arpentées toutes les rues qui m’importent , la plupart du temps ce sont les rues de l’enfance, je finis par échouer ici ; là où se laissent voguer les langues ; de gauche à droite et de bas en haut ; et de l’avant vers l’arrière ; et même dans l’au-delà des murs à peine dévoilé par une porte entrebâillée ; il y a deux entrées mais une seule sortie; j’entre toujours par la porte automatique qui ne s’ouvre que pour embarquer ; un trousseau de pensées ou d’histoires repose là ; des kilos de mots concassés ; certains s’en dispensent, pour moi c’est mon grand large ; s’il vous plait je cherche un livre, je sais plus l’auteur ; je l’ai entendu à la radio ; il parlait des lointains ; c’était la semaine dernière ; çà vous dit quelque chose ; c’est le lieu du tâtonnement et des rencontres ; parfois violentes comme un coup de vent entre les allées d’un parc ; la langue déplace et on se sent paquebot dans les arbres avide d’un air plus respirable ; non j’achète rien aujourd’hui, je regarde c’est tout ; oh t’as vu le dernier Quignard ; oui une autre fois ; de toute façon je finirai par l’acheter ; alors maintenant ou la semaine prochaine ; circuler dans un gigantesque abécédaire infiltré de remous ; on trouve tout, en vrac ; on furète jusqu’à rêver sur les chemins noirs ou écouter nos défaites ; on évite malgré tout de plonger dans la plénitude du vide ; on se dit que le tout, le rien et le reste suffira peut-être ; on essaie de ne rien lâcher ; bonjour je cherche le prix Goncourt ; je sais pas son nom ; ne pas savoir ce que l’on cherche , c’est comme ne plus se souvenir de la question mais chercher quand même des réponses ; serait-ce tenir une sorte de vérité dans la paume que de prendre un livre entre ses mains ; dans le désordre des jours c’est manière de regarder le soleil en face avec une incertaine fascination pour le vertige ; je voudrais un livre pour quelqu’un qui n’aime pas lire ; ne pas oublier ce sentiment d’inquiétude qui enserre parfois ; le rayon histoire ce n’est pas pour moi, je ne sais pas pourquoi ; le rayon philo, là-bas tout au fond, je le caresse des yeux ;de toute façon je n’ai plus de place pour ranger les livres à la maison ; il y a souvent un représentant qui vante ses ouvrages et parle fort ; je comprends rien au classement, ils ont encore tout changé ; les « beaux » livres sont dans la première zone, avec les Pléiades au sommet de l’échelle réservée ; les cartes routières et livres de voyage à gauche, puis théâtre et poésie à droite ; la seconde zone est un grand espace pour la « littérature » française et étrangère avec des tables basses et rondes pour les nouveautés ; les livres de poche sont sur le côté ; comme j’aimais le magasin d’avant, que l’on nommait la pochetèque qui concentrait des livres aux prix abordables ; mes doigts caressaient les tranches des livres ; j’étais imbattable sur les prix des collections selon le nombre d’étoiles attribué à chaque livre ; j’aimais aussi les petits catalogues où mon plus grand plaisir était de rayer de rouge les titres en ma possession et entourer en bleu ceux que j’espérais ; t’as vu le prix, cherche autre chose, regarde là il y a des petits recueils sympas, non ; quelques marches sur la gauche et on rejoint le côté des bandes dessinées, les livres pour enfants, les ouvrages techniques ; les présentoirs où s’étale la presse viennent enfin près des caisses et de la sortie ; lorsque je n’ai rien pêché sur la rive de la littérature, je prends dans mon filet quelque revue ; le dernier matricule des anges ou quelque revue d’art feront mon miel ; ne  pas revenir sans rien

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