J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 6 août 2016

Enfance II


Au creux des vagues claires, ce sont cent bras qui plongent sur les pieds blonds des blés, coupant dans leur élan les tiges lourdes d'avenir. La terre est en sursaut, le ciel ne bouge pas. Les mollets rougis par la herse de l'éteule, les bras chargés de gerbes, les enfants bâtissent de petites huttes de lumière où leurs songes se réfugient. Ils piétinent, cela craque, ils croquent un grain volé.

La chaleur sous le chapeau , le bourdonnement des mouches que l'on chasse d'un revers de main pour cueillir le verso du silence, l'odeur de paille coupée – ce parfum de l'été - , les lingots d'or dressés avant d'être entassés sur le plateau du char, les cierges roses veilleurs des bas-côtés au doux nom d'épilobes, la sueur sur les fronts, la tristesse de ne plus voir la caresse du vent sur l'océan d'ici…

A la porte dérobée du champ, les ombres douces où boire l'eau teintée de rouge, mordre dans le pain et les morceaux de sucre, des brins de paille dans les cheveux rire de fatigue et de joie partagée, ne plus entendre les voix qui appellent, être dans cette absence au monde et à l'aube de la vie, franchir l'au-delà d'horizon d'un simple coup d'œil et, délivré de la langue, endosser le silence.

Laisser le regard errer sur ce champ de chaumes, poème en gestation, table de banquet pour les oiseaux gourmands, qui bientôt, mordu par le soc de la charrue, laissera les sillons se creuser au pas lent du laboureur. Garder la vision de la houle des blés plus hauts que les regards, le ciel nu, les petites cabanes de rêve, l'amertume du grain de blé bien avant de savoir que La Terre déchirée recommence le Jardin *.


*Gustave Roud

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